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Dans les archives de la Bibliothèque de recherche africaine (2/2)

L’Humathèque du Campus Condorcet exposait, du 23 mai au 3 juillet 2024, une sélection d’archives de chercheurs et chercheuses collectées par la Bibliothèque de recherches africaines (BRA). Ce billet sera donc l’occasion de revenir sur les enjeux de traitement et de valorisation de ces archives documentant l’activité d’une génération de pionniers des études africaines et plus particulièrement de l’histoire de l’Afrique précoloniale.

Reprenant le parcours de l’exposition, le premier volet de ce billet revenait sur l’histoire du Centre de recherches africaines de la Sorbonne en s’intéressant aux figures de l’historien Raymond Mauny et de l’anthropologue Claude Meillassoux. Ce second volet est maintenant consacré aux précurseurs de l’histoire orale de l’Afrique à la Sorbonne avec les figures d’Yves Person et de Claude-Hélène Perrot.

Des pionniers de l’histoire orale de l’Afrique

Après la création du Centre de recherches africaines de la Sorbonne, les historiens de l’Afrique commencent également à porter leur intérêt sur la collecte des données audiovisuelles de terrain, matériaux de recherche jusque-là plutôt privilégiés par les ethnologues. Avec l’analyse des traditions orales, ce sont de nouveaux domaines d’étude et la construction de démarches critiques particulières qui s’ouvrent à celles et ceux qui s’intéressent à l’Afrique précoloniale : par exemple une nouvelle approche des faits religieux (étude des objets et lieux de culte) s’intéressant notamment au rapport entre histoire et religion ou bien l’étude des généalogies permettant de travailler les chronologies et la périodisation.

Le fonds Yves Person

Yves Person est élu à la chaire d’histoire contemporaine de l’Afrique en 1971, prenant la suite d’Hubert Deschamps à la Sorbonne. Administrateur de la France d’Outre-mer depuis 1948, les différentes affectations administratives qu’il sollicite au cours des années 1950-1960 lui permettent de couvrir toute la zone des domaines de Samori Touré, fondateur de l’Empire Wassoulou (Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, Haute-Volta), de consulter un nombre très important d’archives coloniales et de mener une vaste enquête en recueillant les traditions orales et les témoignages des compagnons encore vivants de Samori (861 informateurs). Les sources écrites pouvaient ainsi être confrontées aux sources orales dans cette première thèse portant sur un personnage africain, réalisée à partir du point de vue des acteurs maliens et non plus uniquement coloniaux. A la suite de l’essai fondateur de l’anthropologue belge Jan Vansina1, cet imposant travail fait d’Yves Person un des pionniers de la pratique des matériaux oraux en histoire et d’une méthodologie de l’oralité qu’il théorise dans l’introduction de sa thèse Samori, une révolution dyula2 et dans l’article « Tradition orale et chronologie3 ».

Dans un billet publié sur le carnet du consortium « Archives des ethnologues », Elara Bertho revient sur l’usage par Yves Person des récits sur Samori qu’il a collecté pour sa thèse4.

Elle s’intéresse à ceux présents dans le fonds sous forme de tapuscrits produits par les informateurs eux-mêmes puis confiés à Yves Person, mais également à ceux apparaissant sous forme de notes manuscrites prises par l’historien lors de ses entretiens. Ces notes sont peu lisibles et difficilement exploitables, comme il le souligne lui-même dans un extrait de sa soutenance de thèse :

« Faute d’un magnétophone portatif dont je n’ai disposé que dans les derniers mois, en 1962-1963, je n’ai presque jamais recueilli ces interviews en langue malinké et j’ai dû les noter au stylo à bille, en français. Si je disposais du temps et des moyens nécessaires (…). Pour l’instant j’ai seulement archivé une énorme masse de papiers difficilement utilisables pour un autre que moi-même5 ».

Notes manuscrites prises durant les entretiens d’Yves Person avec ses principaux informateurs pour sa thèse Samori, une révolution dyula, s. d. (cote : Humathèque Condorcet, Fonds Yves Person, Paris1 BRA YP 6 1B).

Le fonds Claude-Hélène Perrot

Claude-Hélène Perrot succède en 1983 à Yves Person en tant que Professeure à la chaire d’histoire contemporaine de l’Afrique à Paris 1. Également formée à la VIe section de l’École pratique des hautes études sous l’égide de Georges Balandier, elle se spécialise dans l’étude du groupe culturel Akan (Ghana, Côte d’Ivoire, Togo) en publiant une thèse de doctorat d’État sur l’histoire précoloniale du royaume des Anyi-Ndenyé, au Centre-Est de la Côte d’Ivoire6. Elle s’intéresse parallèlement aux Éotilé, société lagunaire lignagère du Sud-Est et leur consacre un important ouvrage en 20087.

Pluridisciplinaire, utilisant la sociologie, l’anthropologie et l’histoire, sa méthodologie de recherche s’inscrit dans le sillage d’Yves Person par la collecte intensive et l’analyse de corpus de traditions orales.

Ses enquêtes sur les Anyi-Ndenyé et les Éotilé s’inscrivent dans les nouveaux axes de recherche permis par l’histoire orale, portant sur les liens entre pouvoir politique et religion dite « traditionnelle » aux XVIIIe et XIXe siècles. L’étude sur les Anyi-Ndenyé se base surtout sur des sources non écrites, la plupart étant constituées de récits en langue anyi enregistrés au magnétophone, de janvier 1964 à juin 1972, au cours de ses enquêtes dans les villages du Ndenyé.

Son fonds d’archives contient ainsi des données produites et collectées durant ces nombreux terrains ivoiriens. Elle a deux principaux informateurs pour son travail sur les Anyi-Ndenyé : Nana Alou Méa, chef du village de Sankadiokro dans le royaume du Ndényé, et Nana Kabla Djame, chef du village d’Apoiso. Ces entretiens oraux réalisés avec eux et enregistrés d’abord sur bandes magnétiques ont été par la suite transférés sur cassettes audio par Claude-Hélène Perrot et, plus tard, numérisés à l’Institut des mondes africains. Ici encore, il a été possible de mettre en relation ces archives audio avec les photographies et les notes de terrain, sous forme d’un montage audiovisuel visible au sein de l’exposition.

Fichiers matière avec des renvois vers les carnets de terrain (cotes : Humathèque Condorcet, Fonds Claude-Hélène Perrot, 3 ARCH 22). Photographie : Humathèque Condorcet.
Montage audiovisuel de l’entretien de Claude-Hélène Perrot avec Nana Alou Méa mis en regard des documents papiers. Photographie : Humathèque Condorcet.

Les visiteurs ont ainsi pu écouter un entretien avec Nana Alou Méa, enregistré par Claude-Hélène Perrot le 8 février 1967. Celui-ci est particulièrement intéressant car il ne documente pas seulement le sujet traité par l’historienne (en l’occurrence l’organisation de la tenue du conseil du roi), mais donne également des éléments de contexte sur le déroulement et la méthode de l’entretien. On entend Claude-Hélène Perrot interroger le chef de village par l’intermédiaire d’un traducteur, situation qui lui pose parfois des difficultés et l’amène à changer sa méthode de questionnement (des questions-réponses vers des questions posées après coup, rebondissant sur le récit de son interlocuteur). Le fonds d’archives nous donne ainsi accès au moment même de la collecte des sources orales capté lui aussi par l’enregistrement.

Écouter l’enregistrement de Claude-Hélène Perrot de son entretien avec Nana Alou Méa, chef du village de Sankadioko, au royaume du Ndényé (Côte d’Ivoire), 8 février 1967 :

Durée du film : 5 min 55, montage : Charlotte Corinaldi, Humathèque Condorcet.

Charlotte Corinaldi, archiviste et chargée de médiation scientifique et culturelle à l’Humathèque Condorcet

  1. Jan Vansina, De la tradition orale, essai de méthode historique, Musée royal de l’Afrique central, Tervuren, Annales Sciences Humaines, n° 16, 1961. ↩︎
  2. Yves Person,  Samori, une révolution dyula, Mémoire de l’Institut fondamental d’Afrique noire, 3 tomes, Dakar, 1968-1975. ↩︎
  3. Yves Person, « Tradition orale et chronologie », Cahiers d’études africaines, vol. 2, n° 7, 1962, pp. 462-476. URL : https://doi.org/10.3406/cea.1962.2987 ↩︎
  4. Elara Bertho, « Les récits sur Samori dans le fonds Yves Person de la Bibliothèque de recherches africaines », Consortium « Archives des ethnologues », 13 mars 2019. URL : https://ethnologia.hypotheses.org/1034 ↩︎
  5. Yves Person, « Samori : l’enquête », in François-Xavier Fauvelle et Claude Hélène-Perrot (éd.), Historien de l’Afrique, explorateur de l’oralité, 2018, p. 95. ↩︎
  6. Claude-Hélène Perrot, Les Anyi-Ndenyé et le pouvoir politique aux XVIIIe et XIXe siècles, CEDA, Abidjan, Publications de la Sorbonne, Paris, 1982. ↩︎
  7. Claude-Hélène Perrot, Les Éotilé de Côte d’Ivoire aux XVIIIe et XIXe siècles. Pouvoir lignager et religion, Publications de la Sorbonne, Paris, 2008. ↩︎

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Charlotte Corinaldi (29 novembre 2024). Dans les archives de la Bibliothèque de recherche africaine (2/2). Carnet d’Afriques, revue d’histoire. Consulté le 20 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12sf2


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