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Dans les archives de la Bibliothèque de recherche africaine (1/2)

L’Humathèque du Campus Condorcet exposait, du 23 mai au 3 juillet 2024, une sélection d’archives de chercheurs et chercheuses collectées par la Bibliothèque de recherches africaines (BRA). Ce billet sera donc l’occasion de revenir sur les enjeux de traitement et de valorisation de ces archives documentant l’activité d’une génération de pionniers des études africaines et plus particulièrement de l’histoire de l’Afrique précoloniale.

Reprenant le parcours de l’exposition, le premier volet de ce billet revient sur l’histoire du Centre de recherches africaines de la Sorbonne en s’intéressant aux figures de l’historien Raymond Mauny et de l’anthropologue Claude Meillassoux. Un second volet sera ensuite consacré aux précurseurs de l’histoire orale de l’Afrique à la Sorbonne, Yves Person et Claude-Hélène Perrot.

La Bibliothèque de recherches africaines (BRA) à l’Humathèque Condorcet

En septembre 2019, l’Institut des mondes africains (IMAF) a déposé à l’Humathèque (ex. Grand équipement documentaire) les collections documentaires et les fonds d’archives de la Bibliothèque de recherches africaines. Les quelques 30 000 ouvrages constituent ainsi la base du pôle E « Afrique ». En libre accès, ils ont été rejoints cette année par les collections de l’ancien Centre d’études africaines (CEAf) de l’EHESS. Pour leur part, les fonds d’archives de chercheurs et chercheuses, signalés au fur et à mesure de leur traitement sur le catalogue en ligne des archives de l’Humathèque, sont disponibles sur demande en salle de consultation encadrée (3ème étage).

La Bibliothèque de recherches africaines, labellisée CollEx – Collections d’Excellence pour la recherche en 2018, forme ainsi un « écosystème » de recherche complet autour des études africaines. Elle s’est constituée dès sa création autour des dons de bibliothèques et de fonds d’archives personnels effectués par les chercheurs et les chercheuses, leurs ayant droits ou encore par d’anciens administrateurs coloniaux.

Documenter un moment clé de l’historiographie africaine en France 

La BRA est créée en 1962 sous l’impulsion de Raymond Mauny pour constituer la bibliothèque du nouveau Centre de recherches africaines (CRA) de la Sorbonne (Paris 1). Ce centre est organisé autour des toutes premières chaires d’histoire de l’Afrique : une chaire d’histoire ancienne et médiévale (Raymond Mauny), une chaire d’histoire contemporaine de l’Afrique (Hubert Deschamps), et une chaire de sociologie (Georges Balandier). Au lendemain des Indépendances, ce centre appelle à la prise en compte de l’historicité des sociétés et pour une reconnaissance institutionnelle de « l’histoire africaine de l’Afrique », selon le mot de Georges Balandier1. L’attention est portée sur la période antérieure à la colonisation, aux enquêtes de terrain de longue durée, à la pratique des langues africaines et à la place accordée au recueil des sources orales dans l’établissement d’une écriture de l’histoire, comme en témoignent les travaux d’Yves Person et de Claude-Hélène Perrot2, s’étant tous deux succédés à la chaire d’histoire contemporaine du CRA3.

Le Centre de recherches africaines devient ensuite le Centre d’études des mondes africains (CEMAF) en 2006 puis fusionne en 2014 avec deux centres de l’EHESS : le Centre d’études africaines (CEAf) et le Centre d’histoire sociale de l’islam méditerranéen (CHSIM) pour former l’actuel Institut des mondes africains (IMAF – UMR 8171), installé depuis 2019 sur le Campus Condorcet4.

Au plus proche des enquêtes de terrain : donner à voir et à écouter les archives

Les différents fonds d’archives de chercheurs et chercheuses déposés à la Bibliothèque de recherches africaines ont été en grande partie inventoriés depuis le début des années 2000 sous la direction de Fabrice Melka5 (actuellement ingénieur de recherche à l’IMAF), puis à l’Humathèque6. Dans la continuité de ce travail, l’un des enjeux pour le service des archives de l’Humathèque est aujourd’hui l’approfondissement de la description des contextes de production de ces fonds en s’intéressant notamment à la matérialité des pratiques de recherche. Ainsi, cette exposition a eu pour objectif de donner à voir la multiplicité des matériaux de terrain collectés pour écrire l’histoire de l’Afrique et les relations entre données visuelles, sonores et textuelles.

Le fonds Raymond Mauny

Le fonds Raymond Mauny, déposé à la Bibliothèque de recherches africaines de son vivant en 1978, avait déjà fait l’objet de valorisation7 : en 2011 puis en 2015, les carnets de mission du préhistorien avaient été numérisés et mis en ligne, d’abord sous forme de blog puis pour inaugurer le projet Transcrire, plateforme de transcription collaborative créée au sein du consortium « Archives des ethnologues », hébergée par la TGIR Huma-Num et administrée depuis 2023 par l’Humathèque Condorcet. Ces cahiers manuscrits, très riches en données de terrain à caractère archéologique, historique, ethnographique et iconographique (photographies, cartes et croquis), couvrent toute l’Afrique occidentale et plus particulièrement la zone sahélienne. Raymond Mauny y a en effet réalisé de nombreuses missions de 1947 à 1962, dans le cadre de son travail à la section d’Archéologie-Préhistoire de l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) avant d’occuper la chaire d’histoire du nouveau Centre de recherches africaines à la Sorbonne. Si le fonds contient également quelques objets archéologiques collectés par le chercheur pour développer les collections de l’IFAN, ce sont ses carnets qui renferment histoires et données de terrain, minutieusement consignées au retour des missions.

Cahier de terrain, Préhistoire du Cap-Vert, janvier – novembre 1942 (cote : Humathèque Condorcet, Fonds Raymond Mauny, Paris1 BRA RM 3-2A1). Pour feuilletez ces carnets et poursuivre leur transcription.

Le fonds Claude Meillassoux

A partir des années 1960, les chercheurs commencent à pouvoir collecter plus facilement des données audiovisuelles sur le terrain. Le magnétophone Uher 4000 Report, créé en 1961 à Munich, facilite grandement les enregistrements sonores en remplaçant le matériel lourd et encombrant qui existait jusque-là. Celui de l’anthropologue Claude Meillassoux est conservé dans son fonds, aux côtés des archives relatives aux missions qu’il a réalisées pour la plupart au Mali et au Sénégal de 1962 à 1973.

Sacoche de Claude Meillassoux ayant servi à transporter son magnétophone autonome Uher 4000 Report : bandes magnétiques audio 8 cm, enregistrements du koteba, 1963 (cote : Humathèque Condorcet, Fonds Claude Meillassoux, Paris1 BRA CM 3 2E1) ; bandes magnétiques 16 mm, film argentique d’une représentation du koteba, 1962-1963 (cote : Humathèque Condorcet, Fonds Claude Meillassoux, Paris1 BRA CM 3 2F1) ; Journaux de mission à Bamako, 1962-1963 (cote : Humathèque Condorcet, Fonds Claude Meillassoux, Paris1 BRA CM 3 2B).

Avant la création du Centre de recherches africaines en 1962, une première direction d’études en anthropologie de l’Afrique est créée en 1957 à la VIe section de l’École pratique des hautes études (devenue EHESS) par Georges Balandier. C’est sous l’égide de ce dernier que Claude Meillassoux, tout jeune ethnologue et économiste de formation, entreprend sa première mission en Côte d’Ivoire en 1958 pour étudier les transformations économiques et sociales des populations Gouro. Il soutient sa thèse en 1962 rejoignant le CNRS en 1964.

L’exposition a mis en valeur son terrain à Bamako de 1962 à 1963, terrain durant lequel il participe à une vaste enquête sur les associations urbaines volontaires de la capitale malienne, il travaille alors également sur l’histoire et les institutions précoloniales. Il y étudie par exemple le koteba, un théâtre de rue consistant en des saynètes, souvent présentées de nuit à l’occasion de cérémonies, mettant en scène des personnages typés et classiques de la farce villageoise : l’infirme, l’aveugle, le boiteux, l’imbécile, le chasseur maladroit, la femme adultère, le mari trompé, le vantard.

Claude Meillassoux réalise en mai 1963 des enregistrements sonores et des photographies d’une représentation nocturne de koteba dans le quartier de Niarela (Bamako). Il filme également, accompagné de Monique Seguret à la prise de son, une autre représentation, cette fois-ci de jour et semblant avoir été orchestrée à sa demande. Un montage de ces archives audiovisuelles a été réalisé pour l’exposition afin de mettre en relation ces supports, présentés sur un écran au regard des supports physique exposés en vitrine : les bandes audio 8 mm et les films argentiques 16 mm, les journaux de mission et le tapuscrit annoté de l’article « La farce villageoise à la ville : le koteba de Bamako », publié dans Présence Africaine en 19648.

La valorisation des archives de recherche contenues dans le fonds a ainsi été l’occasion d’approfondir la compréhension du moment de la collecte par le chercheur.

L’inventaire du fonds, classé par activités puis par missions, permet d’identifier les différentes typologies de documents collectés par l’ethnologue : photographies, enregistrements sonores, films, accompagnés de cartes, plans et journaux de missions avec notes de terrain. La numérisation de 9 carnets, près de 4000 photos et de 150 heures de bandes et cassettes audio a été réalisée par l’Institut des mondes africains, accompagnée d’un travail sur les métadonnées (titre, sujets, lieux, dates, description) encore en cours.

Voir et écouter les archives audiovisuelles collectées par Claude Meillassoux pour l’étude du koteba de Bamako, quartier de Niarela, 13 mai 1963 :

Durée du film : 2 min 29, montage : Charlotte Corinaldi, Humathèque Condorcet.

Charlotte Corinaldi, archiviste et chargée de médiation scientifique et culturelle à l’Humathèque Condorcet

  1. Georges Balandier, « Ce que j’ai appris de l’Afrique »,  Journal des africanistes, tome 69, fascicule 1, 1999.  URL : https://www.persee.fr docjafr_0399-0346_1999_num_69_1_1202 ↩︎
  2. François-Xavier Fauvelle, Claude-Hélène Perrot (éd.), Yves Person : historien de l’Afrique, explorateur de l’oralité, Éditions de la Sorbonne, 2018. ↩︎
  3. Voir le second volet de ce billet. ↩︎
  4. Mathilde Schmitt, Liliane Daronian, Marie-Caroline Luce, Répertoire numérique détaillé du fonds du Centre d’étude des mondes africains (CEMAF), 1964-2009, Archives nationales. ↩︎
  5. Inventaires réalisés par Mélanie Lembert (fonds Raymond Mauny et Claude Meillassoux, avec la participation pour ce dernier de Solène Michon, Marine Lévêque et Naomi Russo), Isabelle Guichon, Liliane Daronian, Florine Stankiewicz, (fonds Yves Person). ↩︎
  6. Le fonds Claude-Hélène Perrot a été classé par Guillaume Papazoglou, avec la collaboration de Carolina Carbonell, archivistes du Bureau van Dijk, sous la direction de Goulven Le Brech, Mathilde Dumonteil (Humathèque Campus Condorcet), Fabrice Melka (IMAF) et Corentin Le Corre (Bureau van Dijk). ↩︎
  7. Fabrice Melka, « Aux fils d’un fonds : les archives de l’africaniste Raymond Mauny (1912-1994) », Carnet du Grand équipement documentaire, 16 avril 2020. URL : https://gedcondorcet.hypotheses.org/1711.
    L’ensemble des carnets de Raymond Mauny ont également été déposés dans l’entrepôt de données Nakala. ↩︎
  8. Claude Meillassoux, « La farce villageoise à la ville : le Koteba de Bamako », Présence Africaine, Nouvelle série, n° 52, 1964, pp. 27-59. ↩︎


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Charlotte Corinaldi (14 novembre 2024). Dans les archives de la Bibliothèque de recherche africaine (1/2). Carnet d’Afriques, revue d’histoire. Consulté le 20 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12oms


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