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African Ivories in the Atlantic World, 1400-1900

Compte-rendu par Matthieu Provençalle du livre de José da Silva Horta, Carlos Almeida, Peter Mark (dir.), African Ivories in the Atlantic World, 1400-1900 / Marfins Africanos no Mundo Atlântico, 1400-1900, Lisbonne, Centro de História da Universidade de Lisboa, 2021, 705 p.

Il y a longtemps que l’historiographie africaniste attendait un tel ouvrage sur les ivoires. En 1982 déjà, Harvey Feinberg et Marion Johnson écrivaient leur article « The West African Ivory Trade during the Eighteenth Century : The ‘‘… and Ivory’’ Complex », dans lequel ils relevaient que les historiens spécialistes du commerce ouest-africain mettaient surtout l’accent sur les achats d’or et d’esclaves, au détriment de l’ivoire traité comme un appendice1. Certes, à l’époque où H. Feinberg et M. Johnson publiaient leur travail, certains groupes d’ivoires bien spécifiques commençaient déjà à attirer l’attention des chercheurs : les ivoires traditionnellement désignés par l’historiographie comme « afro-portugais » ou « luso-africains ». Popularisés à l’international, en 1988, grâce à l’exposition et à l’ouvrage Africa and the Renaissance : Art in Ivory2, ces ivoires ont depuis fait l’objet de plusieurs études.

Peter Mark, qui avait déjà signé un chapitre dans le livre susmentionné, s’est progressivement affirmé comme l’un des principaux spécialistes de ces ivoires luso-africains. Il publie notamment, en 2007, son important article « Towards a Reassessment of the Dating and the geographical Origins of the Luso-African Ivories: Fifteenth-Seventeenth Century3 ». Rejoint par José da Silva Horta, ils coordonnent ensemble, avec Vanicléia Silva Santos, l’ambitieux projet international « African Ivories in the Atlantic World: a reassessment of Luso-African ivories » lancé en avril 2016, et qui a pris fin en septembre 2019. Le projet comprend la participation de près d’une trentaine de chercheurs, parmi lesquels figurent de jeunes docteurs ayant soutenu leurs thèses entre 2016 et 2022. L’ensemble est porté par le Centre d’Histoire de l’Université de Lisbonne, associé à l’Université fédérale du Minas Gerais, au Brésil, et l’Université d’Évora, au Portugal.

Le projet étudie les ivoires africains du XVe au XVIIIe siècle existant dans des collections portugaises et brésiliennes (principalement issues de l’État du Minas Gerais). José da Silva Horta dans l’introduction de African Ivories in the Atlantic World, explique que :

les principaux objectifs de ce projet étaient de reconsidérer les ivoires luso-africains en tant que productions culturelles africaines et de réévaluer leur hybridité artistique. Nous avions également l’intention d’identifier des œuvres précédemment négligées, afin de créer un inventaire de ces objets dans des collections publiques et privées au Portugal et au Brésil (Minas Gerais), ainsi qu’une enquête sur les références aux ivoires dans les sources narratives et archivistiques en portugais dans une chronologie plus large (c. 1500 – c. 1800). En élargissant le champ spatial pour inclure l’Afrique centrale occidentale et le Brésil, le projet visait à faire progresser les connaissances sur le commerce atlantique africain de l’ivoire sculpté et brut et à engager un dialogue avec l’historiographie récente. Un défi permanent consistera à s’engager à différents niveaux dans l’analyse en laboratoire et matérielle des premiers objets africains en ivoire4.

Le projet dispose de son propre site internet (https://africanivoriesul.wordpress.com), dans lequel il est possible de retrouver la plupart des informations que nous venons d’évoquer, mais également des inventaires de sources relatives aux ivoires africains, ainsi que la liste des publications des chercheurs. Parmi ces dernières, nous trouvons de nombreux articles et chapitres d’ouvrages, mais aussi trois livres parus en 2017 et 20185.

African Ivories in the Atlantic World, 1400-1900 constitue la dernière publication du projet. L’ouvrage est essentiellement composé de contributions présentées lors d’une conférence tenue à l’Université de Lisbonne, entre le 25 et le 27 février 2019. Contrairement à ce qui arrive parfois pour les publications de ce type – issues de colloques ou de séminaires –, African Ivories in the Atlantic World est un ouvrage bien structuré, cohérent et clair. Les vingt-et-un chapitres, sans compter l’introduction, sont en effet classés en trois axes principaux qui démontrent sa construction intellectuelle et guident la lecture : « In Africa : contexts and meanings », « Circulation and trade » et « Out of Africa ». Du point de vue de la forme, le livre comprend des travaux écrits en anglais et en portugais, et l’introduction elle-même est proposée dans les deux langues. Cela rendra peut-être sa diffusion plus facile auprès des chercheurs non-lusophones que les deux premiers ouvrages du projet, intégralement en portugais6. Nous ne pouvons par ailleurs que souligner l’effort de publication de photographies d’ivoires luso-africains, indispensables lorsqu’il s’agit de commenter leur iconographie7.

Le cadre chronologique choisi par les trois directeurs de publication José da Silva Horta, Carlos Almeida et Peter Mark est large, et la matière traitée n’en est que plus dense. Près de 700 pages de littérature scientifique nous emmènent bien au-delà d’une simple étude économique du commerce d’ivoire. Pour ne citer qu’un exemple, dans le premier chapitre de l’ouvrage, Peter Mark propose une passionnante exploration de l’iconographie des ivoires Sapi qui, contenant notamment des mots et des lettres en latin, ainsi que des reproductions de livres, pousse l’auteur à s’interroger sur la « lecture transculturelle d’images et de modèles européens par des artistes africains locaux », comme l’écrit si bien José da Silva Horta8. La traite négrière, qui constitue l’un des enjeux principaux de l’historiographie africaniste actuelle, n’est en outre pas oubliée. Jelmer Vos et Maria da Graça A. Mateus Ventura mettent ainsi en évidence les liens entre la marchandise humaine et l’ivoire dans les réseaux commerciaux africains et atlantiques9.

Soulignons que malgré l’importance de la matière traitée, le projet « African Ivories in the Atlantic World » n’a pas clôt le champ d’études éburnéennes – ce que les auteurs ne sous-entendent d’ailleurs pas. Dans l’introduction de l’ouvrage que nous présentons ici, José da Silva Horta explique que « la présente étude commence à combler cette lacune historiographique10 » ; Mariza de Carvalho Soares, dans le cadre de ses travaux sur les accords de compensation (acordos de compensão / compensation agreements), appelle, quant à elle, à entreprendre d’urgence de nouvelles recherches de documents relatifs à l’ivoire au XVIe siècle. Elle estime que les archives françaises, notamment celle de Rouen et de Dieppe, sont très prometteuses pour de telles investigations11.

Le projet « African Ivories in the Atlantic World » a donc posé les bases documentaires, mais également un cadre historique et critique extrêmement solides pour l’étude des ivoires africains. Aux historiens, à présent, de récolter les fruits de ce travail et de poursuivre leurs investigations, pour que l’ivoire ne soit plus traité comme un « appendice » de l’histoire africaine et atlantique.

Lien vers le site de l’éditeur

Matthieu Provençalle est en doctorat à l’université de Rouen, dans le laboratoire du GRHis. Son sujet de thèse porte sur Les activités normandes en Afrique de l’Ouest, de Jean Ango à la Compagnie des Indes Occidentales (début XVIe siècle-1664).

  1. H. M. FEINBERG, M. JOHNSON, 1982, « The West African Ivory Trade during the Eighteenth Century : The ‘‘… and Ivory’’ Complex », The International Journal of African Historical Studies, 15 (3), p. 435-453. []
  2. E. BASSANI, W. FAGG, 1988, Africa in the Renaissance: Art in Ivory, New York, The Center for African Art and Prestel-Verlag. Sur la genèse de cet intérêt des historiens pour les ivoires luso-africains, un bon résumé est proposé dans M.V. GOMES, T.M. CASIMIRO, 2020, « Afro-Portuguese Ivories from Sierra Leone and Nigeria (Yoruba and Benin Kingdoms) in Archaeological Contexts from Southern Portugal », African Arts, 53 (4), p. 24-37. []
  3. P. MARK, 2007, « Towards a Reassessment of the Dating and the geographical Origins of the Luso-African Ivories: Fifteenth-Seventeenth Century », History in Africa, 34, p. 189-211. []
  4. J. da S. HORTA, C. ALMEIDA, P. MARK (dir.), 2021, African Ivories in the Atlantic World, 1400-1900 / Marfins Africanos no Mundo Atlântico, 1400-1900, Lisbonne, Centro de História da Universidade de Lisboa, p. 15. []
  5. V. S. SANTOS (dir.), 2017, O Marfim no Mundo Moderno : Comércio, circulação, fé e status social (Séculos XVI-XIX), Curitiba, Prismas ; V.S. SANTOS, E.F. PAIVA, R.L. GOMES (dir.), 2017, O Comércio de Marfim no Mundo Atlântico. Circulação e Produção (Séculos XV ao XIX), Belo Horizonte, Clio Gestão Cultural e Editora ; F. LAMP, 2018, Ancestors in search of descendants : stone effigies of the ancient Sapi, Bayside, New York, QCC Art Gallery Press/The City University of New York. []
  6. V.S. SANTOS (dir.), 2017, op. cit. ; V.S. SANTOS, E. F. PAIVA, R. L. GOMES (dir.), 2017, op. cit. []
  7. Pour des raisons très certainement évidentes de coût, les images sont malheureusement en noir et blanc dans la version papier, mais en couleur dans la version numérique. []
  8. J. da S. HORTA, C. ALMEIDA, P. MARK (dir.), 2021, op. cit., p. 23. []
  9. J. VOS, « Back to the Ivory Coast: Dutch commodity trading in West Africa, 1740-1809 », p. 401-418 ; M. da G. VENTURA, « The trafficking of raw and carved African ivory in the Caribbean and Lima (1555-1635) », p. 577-614. []
  10. J. da S. HORTA, C. ALMEIDA, P. MARK (dir.), 2021, op. cit., p. 14. []
  11. M. de C. SOARES, « O marfim nos acordos de compensação entre o Congo e Portugal, 1512-1526 », p. 327, n. 24. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
La rédaction (2 janvier 2023). African Ivories in the Atlantic World, 1400-1900. Carnet d’Afriques, revue d’histoire. Consulté le 13 octobre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/at50


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